L'ÉNIGME DE LA MACHINE VOLANTE.
Une cause minime suffit parfois à déchaîner des forces disproportionnées : ce matin là, à l'instant précis où un index, peut-être légèrement imprudent, enfonça le bouton rouge destiné à cet usage, une troupe impétueuse de charges électriques se rua dans le cuivre des bobinages. Un champ magnétique puissant en jaillit, pôle nord vit pôle sud qui le reconnut : coup de foudre, ils saimèrent dun amour irrésistible et sunirent aussitôt. Lhélice en fut ébranlée et se lança dans un arc brusque. Pistons, soupapes, bielles, pignons, cames, poussoirs et courroies sagitèrent de mouvements saccadés : fumées, tumulte et pétarade mirent fin à la paix matinale.
Par contraste avec la rusticité brutale du moteur, le capot aristocratiquement ajusté luisait doucement au soleil et la courbe du bord dattaque de l'aile évoquait un cimeterre oriental. Dans le cockpit, Martial Rataboul se coiffait de ses écouteurs tout en vérifiant que les aiguilles qui devaient bouger bougeaient, et que manettes et boutons étaient bien dans la position requise.
Un certain nombre dannées auparavant, quand il vint à Angélique Rataboul (née Esmes) un enfant de sexe masculin, son époux, Raoul Rataboul, déclara quun garçon né avec un patronyme qui sonne comme un roulement de tambour ne pouvait se prénommer que Martial. La jeune mère ne trouva, semble-t-il, rien à redire à cela, soit quelle approuvât son mari en toutes choses, soit que la suggestion leût laissée sans voix.
Toujours est-il que, malgré cette arrivée en fanfare, la biographie de Martial Rataboul noffre pas un intérêt qui mérite que lon sy attarde, aussi ne le ferons-nous pas. Toutefois, la personnalité la plus lisse, lexistence en apparence la plus plate, recèle souvent des recoins complexes, des vices inattendus : cela peut aller dune maîtresse soigneusement dissimulée à un goût immodéré, jusquà en être fatal, pour la crème brûlée, en passant par une variété de perversions dont nous ne tenterons pas de faire ici lénumération tant limagination de nos congénères en ce domaine donne le vertige de linfini. Martial Rataboul, lui aussi, est la proie dun vice particulièrement redoutable car on nen réchappe pas : laviation légère.